Elle n'est pas là. Elle l'était, hier, avant-hier, et les quarante nuits précédentes. Plantée devant le perron à vingt-trois heures précises. Ekaterina se surprend à continuer d'observer l'entrée déserte du haut de sa fenêtre. On s'est, semble-t-il, lassé bien avant d'avoir su susciter son intérêt. Elle n'ira pas jusqu'à dire dommage, mais dommage. L'éternité n'offre plus tant de distractions, et la fin de la guerre contre les banshees l'a coincée dans un quotidien ennuyeux au possible. Cette fille l'en sortait un peu. Pas assez pour qu'elle daigne lui accorder cette entrevue, certes. Tout de même. Il semble que c'est au travers de son absence, que cette créature aura scellé son existence. Car maintenant qu'elle a disparu, ironiquement, elle existe enfin, bel et bien. Et Ekaterina ne saura jamais ce qu'elle voulait. Elle n'ira pas jusqu'à dire dommage, mais dommage.

Et surtout, tant pis. La matriarche détourne le regard et continue de longer le couloir jusque dans ses appartements. Si elle y entend du bruit, elle ne s'en méfie pas : ses fils y rentrent, et y sortent à leur guise. Etant donné la froideur de leurs récents échanges et les tensions qui gisent dans leurs relations, elle serait même satisfaite qu'on lui rende visite.

La porte poussée ne dévoile aucun de ses enfants, ni de ses infants. En même temps qu'un sourire cannibale fleurit sur les lèvres, la tête penche lentement sur le côté. Pour une surprise, c'est une surprise. Avant qu'elle n'ait achevé son mouvement, ses ongles se retrouvent déjà à faire pression autour de la gorge. Elle n'aime pas l'effronterie. Mais elle aime l'audace. Pour l'instant, Ekaterina n'a pas encore décidé pour laquelle de ces options elle penchait. Et on ferait bien vite de plaider sa cause, au risque de la voir pencher rapidement. La fille du perron aurait peut-être mieux fait de rester sur le perron.

« Quelle magnifique créature... Malheureusement, je crains que ça ne soit pas une raison suffisante pour te garder en ce monde. »

La voix est très calme, presque suave. Le sourire s'étire de manière sinistre. Visiblement, si elle n'a pas foré la jugulaire, c'est qu'elle a envie qu'on lui en donne, des raisons. Ça l'intrigue. Ça la fascine, aussi. Cette impertinence. Ce culot. Ce n'est pas n'importe quel vampire qui oserait s'introduire chez les Volkov sans avoir été invité. Car c'est un vampire, pour y être arrivée aussi aisément.

« Exprime-toi, je t'en prie, maintenant que tu as mon attention. »

C'est ce qu'on cherchait, non ? Sur le pas de la porte, et ici, dans le carcan de son intimité. Elle ne le dit pas, ni ne le montre, mais elle déteste, d'ailleurs, qu'on le visite en toute impunité. Ce n'est pour personne d'autre que pour son cercle proche. Parce que c'est une faiblesse qu'on pourrait exploiter. Toutes ces photos. Toutes ces coupures de presses, et ces pages déchirées. Tous ces souvenirs, de toutes ces époques, et de tous ces amants. De ses enfants. De ses infants. De son mari. Aussi mort et stérile qu'il est, c'est son cœur, qui est exposé sur ces murs.

« J'ai bien peur que la patience n'ait jamais été mon fort... »

Les phalanges se resserrent. Les canines émergent. C'est surtout qu'elle crève d'envie qu'on lui confesse ses intentions. Peut-être qu'on est suicidaire, ou simplement fou. Ou peut-être, rien que peut-être, on mérite son temps. C'est un doute raisonnable. Elle est prête à parier dessus. Ce n'est pas comme si elle en manquait, de toute façon, du temps.